THÈME 3 : VULNÉRABILITE DES ÉCOSYSTÈMES INSULAIRES

RESPONSABLE

Responsable du thème 3

DUCATEZ Simon

Présentation du thème
 

L’équipe 3 Vulnérabilité des écosystèmes (ECOV) est composé d’enseignants-chercheurs de l’UPF et de cadres de recherche de l’Ifremer et de l’IRD. Son activité est décomposée en 3 axes complémentaires, interdépendants, et souvent traités simultanément dans les travaux de nos agents :

  • AXE 1 : Structure et fonctionnement des écosystèmes
  • AXE 2 : Réponse aux forçages
  • AXE 3 : Développement d’indicateurs des systèmes

Responsable actuel : S. Ducatez (IRD)

L’équipe complète
 

PRÉSENTATION DU THÈME 3 : VULNÉRABILITÉ DU SYSTÈME INSULAIRE :

La vulnérabilité d’un écosystème est un concept complexe, dont la définition varie en fonction des auteurs et du champ disciplinaire d’investigation (écologique, économique ou social). On peut toutefois considerer que la vulnérabilité d’un écosystème désigne « l’exposition à des imprévus et à du stress ainsi que la difficulté à y faire face ». Cette perception de la vulnérabilité s’inspire de définitions bien acceptées en écologie et au-delà. Le niveau de vulnérabilité d’un écosystème résulte donc essentiellement de la combinaison de 2 éléments principaux :

  • le risque d’exposition aux forçages (i.e. la nature, la fréquence et l’intensité des facteurs externes structurants)
  • la réponse des organismes et des écosystèmes face à ces forçages, qui dépend notamment de leur sensibilité et de leur capacité à absorber les modifications.

Depuis plusieurs décennies, l’effet combiné de l’augmentation des pressions anthropiques et de la variabilité environnementale, accroit la vulnérabilité de nombreux écosystèmes tropicaux sur la planète. Cette situation se manifeste par une perte de biodiversité et une réduction de nombreux Services d’Origine Écosystémique (SOE), particulièrement marquées pour les écosystèmes insulaires Océaniens, tels que ceux de Polynésie française. Ces derniers sont, en effet, très sensibles aux perturbations, alors mêmes que leurs sociétés sont fortement dépendantes des services écosystémiques produits à une échelle locale.  La vulnérabilité des écosystèmes est donc désormais au coeur de multiples enjeux pour les sociétés insulaires en général et pour celles du Pacifique Sud en particulier. La vulnérabilité des écosystèmes est toutefois difficile à évaluer et encore plus à anticiper, en particulier car elle se manifeste de multiples manières, à plusieurs échelles et à travers différents « processus», souvent interdépendants.

D’un point de vue académique, appréhender la vulnérabilité des écosystèmes est donc une démarche complexe qui nécessite de caractériser les propriétés intrinsèques des systèmes étudiés (complexité, diversité, productivité, interactions spécifiques, distribution des traits fonctionnels, etc.) et d’intégrer les conséquences de multiples facteurs sur une large gamme de taxons, de niveaux d’organisation (e.g. peuplements, écosystèmes) et d’échelles d’observation. Inscrits dans ce cadre, les travaux du thème 3 s’intéressent à plusieurs groupes de végétaux et d’animaux qui jouent un rôle clef dans le fonctionnement des écosystèmes insulaires (e.g. phytoplancton, algues, poissons, plantes, oiseaux) et/ou dans la production de SOE majeurs pour les sociétés insulaires, en particulier pour la Polynésie française (e.g. huître perlière, bénitier).
La Polynésie française représente un terrain d’étude particulièrement adapté pour illustrer la diversité des formes de vulnérabilité des systèmes insulaires. Les questions d’observation et de recherche s’appliquent aux îles et atolls, en élargissant le champ d’investigation au domaine hauturier, notamment pour la prise en compte de l’effet du forçage océanique sur les milieux côtiers (e.g. effets d’îles), et des échanges océan-lagon. De plus, l’impact des interactions « ressources vivantes-environnement-usages » sur les sociétés humaines est abordé à travers des approches pluridisciplinaires.

D’un point de vue organisationnel, le thème 3 est structuré en 3 axes. Un premier axe, centré sur l’étude des processus, est focalisé sur l’analyse de la structure et du fonctionnement des écosystèmes insulaires. Un deuxième axe est focalisé sur la réponse de plusieurs composantes clefs des écosystèmes face à différents types de perturbations naturelles et anthropiques. Enfin, un troisième axe, de nature plus méthodologique, s’emploie à développer et/ou à tester des outils contribuant à définir de nouveaux dispositifs de suivi de l’état des Écosysèmes Insulaires Océaniens (EIO). Ces 3 axes se caractérisent par une forte complémentarité. Ainsi, les connaissances écologiques issues des axes 1 et 2 ont vocation à être intégrées dans les actions de l’axe 3 (recherche d’indicateurs, définition de protocoles). En retour, les développements méthodologiques issus de l’axe 3 peuvent enrichir les méthodes d’observation et d’analyse pour répondre aux questions écologiques des axes 1 et 2.

Les connaissances sur les processus qui accroissent la vulnérabilité des écosystèmes insulaires tropicaux (e.g. crises dystrophiques, efflorescences toxiques, perte de résistance/résilience) sont encore trop parcellaires. Améliorer cette situation passe par une meilleure compréhension de la structure et du fonctionnement des écosystèmes sur une large gamme de situations environnementales et anthropiques. Inscrit dans ce cadre, les travaux de l’axe 1 visent à caractériser les interactions entre des taxons « clefs » (e.g. algues, invertébrés, poissons, plantes, oiseaux). Ils visent aussi à quantifier le rôle de ces taxons et de leurs interactions sur des fonctions écosystémiques majeures (e.g. productivité, recyclage de la matière, résistance) et sur des propriétés impliquées dans la production de SOE (e.g. croissance des huîtres perlières, risque d’occurrence de la ciguatéra).

A titre d’exemple, il est acquis que les micro-organismes planctoniques jouent un rôle majeur dans la productivité des organismes filtreurs (e.g. huîtres, bénitiers). En retour, l’activité de filtration des organismes filtreurs tels que les bivalves en culture (e.g. huîtres perlières et espèces épibiontes associées) présente aussi un impact sur le compartiment planctonique. Cependant, les effets de ces interactions complexes sur la vulnérabilité des systèmes sont encore très mal connus. Ils font partie des travaux menés dans cet axe sur les relations « perliculture-environnement », en lien avec le thème 1.

De la même façon, les interactions entre les peuplements algaux (cyanobactéries benthiques et macroalgues) et les communautés coralliennes animales (poissons, invertébrés) prennent des formes multiples (e.g. production primaire, diazotrophie, construction récifale). Les peuplements de macroalgues sont notamment de redoutables compétiteurs pour l’espace. Dans les systèmes exploités, cette situation se traduit souvent par une tendance à la dominance des macroalgues, au détriment des communautés coralliennes (phénomène de « phase shift »). Ce phénomène est particulièrement marqué dans les zones où la pression de pêche exercée sur les poissons herbivores ne permet plus à ces derniers de réguler l’équilibre entre algues et coraux. Bien que le « phase-shift » ait fait l’objet de nombreux travaux, l’effet de ce phénomène sur la diversité des fonctions, et plus largement sur le fonctionnement des écosystèmes, sont des champs de recherche très largement ouverts, qui sont explorés dans le cadre du thème 3.

L’état des connaissances sur l’écosystème pélagique hauturier est encore plus limité, en particulier pour le Pacifique central Sud. Cet écosystème possède un rôle important pour les sociétés insulaires qui y puisent directement une partie significative de leurs ressources (pêche). Il joue, de plus, un rôle déterminant sur plusieurs aspects de la dynamique océanique du Pacifique (El Niño) et sur les écosystèmes lagonaires (transfert d’échelles, échanges océan-lagon, connectivité inter-lagons, etc.).

Toutefois, principalement en raison des difficultés de collecter des données représentatives de ses composantes, la structure et le fonctionnement de cet écosystème restent très mal connus. Ainsi, l’environnement hauturier des îles Marquises est le lieu d’un enrichissement biologique (effet d’île) remarquable. Cet effet d’île, dont l’origine reste indéterminée, se répercute sur les réseaux trophiques supérieurs et fait des Marquises une région riche en biodiversité et en ressources marines, notamment en grands poissons pélagiques. De fait, une partie de nos travaux s’emploie à caractériser les processus physiques et biogéochimiques à l’origine de cet effet d’île.

Au cours des dernières décennies, la structure (biomasse, composition, diversité) et le fonctionnement des peuplements insulaires tropicaux ont été impactés par de multiples facteurs. Nombre de ces forçages sont susceptibles d’avoir des conséquences majeures sur la biodiversité des îles de Polynésie et sur les SOE qui en découlent. Dans ce contexte, les travaux de l’axe 2 visent à évaluer la réponse, en termes de structure et de fonctions, de peuplements clefs (phytoplancton, algues, invertébrés, poissons), face aux forçages climatiques (i.e. température, acidification) et anthropiques (e.g. eutrophisation, contamination chimique, aquaculture, pêche).

Les effets du réchauffement climatique peuvent avoir de nombreuses conséquences sur les écosystèmes insulaires et sur les activités qui en dépendent. A titre d’exemple, si elles se vérifient, les prédictions environnementales actuelles (e.g. augmentation de température et acidification des océans) pourraient mettre en danger la pérennité des filières aquacoles, telle que la perliculture (modification de l’efficacité du collectage des naissains, conditions environnementales moins favorables pour la croissance des huîtres, plus grande vulnérabilité aux maladies). Il en est de même pour le bénitier, ressource à la fois exploitée, emblématique et protégée, et qui a déjà montré en Polynésie, des signes de vulnérabilité au réchauffement climatique. La situation particulière de la Polynésie française vis-à-vis de cette ressource d’un point de vue culturel, écologique (e.g. certaines zones présentent parmi les plus fortes densités à l’échelle mondiale) et économique (pêche traditionnelle et émergence actuelle d’une activité aquacole) font du bénitier un modèle biologique particulièrement intéressant.
Dans ce cadre, nous poursuivons nos travaux sur la réponse des bénitiers face au réchauffement climatique à travers plusieurs approches, notamment via des études de sclérochronologie. L’analyse de l’effet des changements climatiques en milieu hauturier et de leurs conséquences sur les ressources exploitées par les sociétés insulaires vient compléter les travaux centrés sur le milieu lagonaire. Il s’agit, par exemple, d’étudier l’impact des changements climatiques passés et futurs sur les dynamiques océaniques et planctoniques à l’échelle du Pacifique Sud et de la Zone Economique Exclusive Polynésienne, ainsi que leurs répercussions sur la richesse des eaux en termes de pêcheries (l’impact pour les populations locales pouvant s’avérer dramatique).

Par ailleurs, plusieurs actions de l’axe 2 portent sur l’effet de la dégradation de l’habitat corallien consécutivement aux activités anthropiques locales (e.g. urbanisation, pêche). Ainsi, l’anthropisation croissante de certaines zones côtières de la Polynésie française est à l’origine d’importants rejets domestiques, industriels et agricoles susceptibles de modifier l’équilibre des communautés phytoplanctoniques, et au-delà de l’ensemble de l’écosystème. La dégradation de l’habitat peut également induire des modifications de l’équilibre entre les communautés algales et les peuplements animaux (poissons et coraux) notamment à travers le phénomène « phase-shift » et ses interactions avec la pêche (cf. axe 1 ci-dessus).
La tendance actuelle à la dégradation des habitats coralliens présente aussi des conséquences indirectes sur la santé humaine, notamment via le développement d’efflorescences microalgales. L’expansion de la ciguatéra illustre bien ce phénomène. Les connaissances dans ce domaine mettent en évidence que l’occurrence des épisodes de ciguatéra dépend de la conjonction de multiples facteurs et du niveau de perturbations du milieu. Toutefois, les mécanismes et les interactions entre les facteurs impliqués sont complexes et encore très mal compris. Ils sont étudiés dans cet axe en lien avec les recherches menées dans le thème 2.

Dans le contexte de la gestion de l’environnement, le développement d’indicateurs fait l’objet d’une demande croissante consécutive à l’essor démographique actuel qui s’accompagne d’une diversification des pressions et de l’augmentation des conflits d’usages potentiels. L’Union Européenne s’est dotée de directives (Directive Cadre sur l’Eau, Directive Cadre Stratégie pour le Milieu Marin), qui ont conduit au développement d’indicateurs pour la qualification du milieu marin, y compris dans les départements de l’Outre-mer français. Par contre, il n’existe pas de cadres réglementaires similaires dans le Pacifique Sud, en particulier pour les atolls polynésiens, dont la vulnérabilité est de plus en plus discutée sans réelles bases objectives. Inscrites dans ce contexte, les méthodologies développées dans l’axe 3 sont mises en œuvre dans la perspective d’enrichir et d’améliorer les techniques d’évaluation et de suivi (protocoles d’observation, indices, techniques de simulation en fonction de scenarii adaptés au contraintes des EIO, outils de transfert des connaissances, etc.) de l’état des écosystèmes insulaires en appui à leur gestion. In fine, ces travaux devraient permettre la spécification des suivis à mettre en place par le gestionnaire ou dans le cadre d’observatoires, ce qui pourrait alimenter des produits de type guide méthodologique.

Ainsi à partir de l’état de l’art et/ou des connaissances acquises dans les deux premiers axes de ce thème, nous caractérisons des descripteurs et identifions des indicateurs de l’état et de l’évolution des EIO, tout en spécifiant leur mise en œuvre dans un compromis coût-efficacité (faisabilité et puissance statistique en lien avec les stratégies d’échantillonnage). A titre d’exemple, bien que la diversité soit reconnue comme un des éléments clefs qui conditionne la vulnérabilité d’un écosystème, elle a jusqu’ici été peu intégrée dans les plans de gestion. De plus, les dispositifs actuels de suivi se limitent généralement à l’étude d’un nombre très limité de composantes de la diversité (richesse spécifique en tête). Or, quel que soit le taxon considéré, il apparaît que d’autres facettes de la diversité (e.g. béta-diversité, diversité fonctionnelle) sont susceptibles de fournir des informations mieux adaptées pour comprendre les règles de structuration des assemblages d’espèces et pour suivre et anticiper la réponse des assemblages face aux pressions anthropiques et aux effets du changement climatique. Intégrer ces composantes dans les futurs dispositifs de suivi et de gestion des écosystèmes implique de développer de nouvelles approches méthodologiques. Dans ce contexte, une partie des travaux de l’axe 3 vise d’une part à développer et à mettre en œuvre des approches multicomposantes de la diversité et d’autre part à engager un effort de recherche sur les propriétés des indices de diversité fonctionnelle afin, dans les 2 cas, de rechercher des séries d’indicateurs spécifiquement adaptés au contexte et aux principaux enjeux des écosystèmes insulaires. D’un point de vue finalisé les actions développées dans l’axe 3 devraient pouvoir contribuer aux dispositifs existant en Polynésie française, qu’ils relèvent de la recherche scientifique (GOPS), de la conservation (e.g. inscription au patrimoine mondial UNESCO), du classement des installations aquacoles (ICPE), ou enfin de la réalisation d’un état initial de l’environnement (EIE).